Découvrez la méditation d’auto-compassion R.A.I.N.
avec Tara Brach
Toute notre vie, nous sommes traversés à chaque instant par l’énergie des émotions. Elles sont le propre de notre condition humaine. Elles s’élèvent, dansent en nous et puis repartent. Souhaiter s’en affranchir serait comme vouloir que… la pluie ne mouille pas !
Les sensations qui signent la présence des émotions dans notre corps nous apparaissent parfois comme agréables, parfois comme indifférentes, d’autres fois comme pénibles. Un réflexe conditionné nous pousse à maintenir les premières le plus longtemps possible, à passer notre chemin en présence des secondes et à rejeter ou à fuir les troisièmes.
Dans ma vie comme dans celle de mes camarades humains et des générations qui nous ont précédés, ces trois réactions sont toutes sources de souffrance. Parfois longuement… Pourtant, les neurosciences nous apprennent que, lorsque nos pensées ne s’en saisissent pas, la durée de vie moyenne de nos émotions n’est que de 90 secondes !
Alors, que faire lorsqu’on souffre pendant de longues heures, des jours entiers ou parfois même des années ?!
Eh bien par exemple, se laisser guider par Tara Brach dans la pratique d’une méditation d’auto-compassion dénommée « R.A.I.N. ».
Tara Brach est une psychologue et une instructrice de méditation américaine réputée. Ses enseignements mélangent la psychologie occidentale et les pratiques spirituelles orientales, en même temps qu’une pleine conscience dédiée à notre vie intérieure et un engagement social actif et plein de compassion. Voix singulière du bouddhisme occidental, elle offre une approche sage et bienveillante destinée à libérer la société et nous-même de la souffrance qui nous entrave.
Pour nous permettre de profiter de l’approche et de l’expérience de Tara Brach, j’ai traduit cet article paru en août 2014 dans le magazine américain Mindfull où Tara Brach décrit en détail le processus de la méditation d’auto-compassion qu’elle propose.
L’ayant moi-même pratiqué régulièrement avec bénéfice, aussi bien en séance de méditation que dans la vie quotidienne, je ne peux que vous en recommander chaleureusement l’usage.
Tara Brach : Quand j’étais à la faculté, je suis partie à la montagne pour un week-end de randonnée avec une amie de vingt-deux ans, un peu plus âgée et expérimentée que moi. Après avoir installé notre tente, nous nous sommes assises près d’un ruisseau, regardant l’eau tourbillonner autour des rochers en parlant de nos vies. À un moment donné, elle a décrit comment elle était en train d’apprendre à être « sa meilleure amie ». Une vague de tristesse m’envahit et je fondis en larmes. Je réalisais que j’étais très loin d’être ma meilleure amie. J’étais continuellement harcelée par un juge intérieur impitoyable, tatillon, exigeant et toujours sur mon dos. Ma croyance était alors : « Quelque chose ne va pas fondamentalement chez moi ». Je luttais donc pour contrôler et corriger ce qui ressemblait à un soi fondamentalement défectueux.
Au cours des dernières décennies, grâce à mon travail avec des dizaines de milliers de patients et d’étudiants en méditation, j’en suis venue à voir la souffrance causée par le manque d’estime de soi comme une véritable épidémie. C’est comme si nous étions dans une transe qui nous ferait tous nous considérer comme indignes. Pourtant, j’ai constaté dans ma propre vie et avec d’innombrables personnes que nous pouvions sortir de cette transe par la pratique de la pleine conscience et de la compassion. Nous pouvons parvenir à faire confiance à la bonté et à la pureté naturelles de nos cœurs.
Pour développer l’auto-compassion, il est nécessaire d’entrer dans un contact honnête et direct avec notre propre vulnérabilité. La compassion s’épanouit pleinement lorsque nous prenons activement soin de nous. Pour aider les gens à faire face aux sentiments d’insécurité et d’indignité qu’ils ressentent, j’utilise souvent la pleine conscience et la compassion à travers une méditation que j’appelle « R.A.I.N. » ou encore « auto-compassion ». Inventée pour la première fois il y a environ 20 ans par Michele McDonald, l’acronyme R.A.I.N. est un moyen facile à retenir pour pratiquer la pleine conscience. Il comporte quatre étapes :
1 – Recognize : Reconnaître ce qui se passe
2 – Allow : Accueillir l’expérience, l’Autoriser à être là telle qu’elle est
3 – Investigate : Investiguer, explorer, avec bienveillance et curiosité
4 – Natural awareness : Non-identification = Conscience non identifiée à l’expérience
Vous pouvez prendre votre temps pour pratiquer R.A.I.N. en tant que méditation autonome, ou encore parcourir les étapes plus rapidement à chaque fois que des émotions difficiles surgissent en vous.
R — Reconnaître ce qui se passe
Reconnaître signifie prendre conscience et prendre acte à un moment donné des pensées, émotions et comportements qui nous affectent. Comme lorsqu’on se réveille d’un rêve, la première étape pour sortir de la transe de l’indignité est simplement de reconnaître que nous y sommes coincés, en étant soumis à des croyances, des émotions et des sensations physiques douloureuses et contraignantes. Les signes courants de la transe comprennent : une voix intérieure critique, des sentiments de honte ou de peur, de l’anxiété ou une sensation lourde de dépression.
Les personnes réagissent au sentiment d’indignité de différentes manières. Certains cherchent à rester occupés, essayant de prouver leur valeur; d’autres, craignant l’échec, peuvent se décourager ou même être paralysés. D’autres encore peuvent recourir à des comportements addictifs pour éviter d’affronter leur honte et leur peur. Chacune de ces stratégies peut conduire à un comportement défensif ou agressif avec les autres, ou à un attachement malsain.
Certains d’entre nous sont en guerre contre nous-mêmes depuis des décennies, ne réalisant jamais combien notre jugement et notre aversion pour nous-mêmes nous empêchent de trouver une véritable intimité avec les autres ou de profiter de nos vies. Un soignant en soins palliatifs rapporte qu’un des regrets récurrents des mourants est le sentiment de ne pas avoir été respectueux de leur propre vie. Plutôt que d’écouter et de faire confiance à la vie qui coule en nous, la plupart d’entre nous essayons de vivre selon ce que nous croyons être les attentes des autres. Comme nous tombons inévitablement à côté de ces attentes, nous nous le reprochons.
Bien que cela puisse sembler déprimant ou écrasant, apprendre à reconnaître que nous sommes en guerre contre nous-mêmes peut s’avérer assez stimulant. Un étudiant en méditation a décrit la transe de l’indignité comme « … le gaz invisible et toxique que je respire en permanence ». Alors qu’il devenait de plus en plus conscient de son incessant jugement de lui-même et de son sentiment de ne pas être à la hauteur, son aspiration à se libérer de sa pénible prison intérieure grandit.
A — Accueillir l’expérience, l’Autoriser à être là telle qu’elle est
Autoriser ou Accueillir invite à laisser simplement les pensées, les émotions, les sentiments ou les sensations que nous avons reconnus être là. Généralement, lorsque nous vivons une expérience désagréable, nous réagissons de trois manières : en multipliant les jugements, en anesthésiant nos émotions, ou en détournant notre attention.
Par exemple, nous pourrions avoir le sentiment honteux d’avoir été trop sévère avec notre enfant. Mais plutôt que de nous autoriser ce sentiment, il nous arrive de reprocher à notre partenaire de ne pas faire sa part, de s’intéresser à des choses futiles ou de vouloir faire la sieste. Nous résistons à la brutalité et au caractère désagréable du sentiment en nous extrayant du moment présent.
Ici, nous nous autorisons simplement une pause avec l’intention de lâcher notre résistance et de laisser notre expérience être telle qu’elle est. Permettre à nos pensées, émotions ou sensations d’être simplement telles qu’elles sont ne signifie pas que nous sommes d’accord avec notre conviction d’être indignes. Au contraire, nous reconnaissons honnêtement la présence de notre jugement, ainsi que les sentiments sous-jacents douloureux. Beaucoup d’étudiants avec qui je travaille s’exercent à ce « laisser faire » en s’offrant silencieusement un mot ou une phrase encourageante. Par exemple, vous pourriez ressentir l’emprise de la peur et murmurer mentalement « oui » afin de reconnaître et d’accepter la réalité de votre expérience du moment.
Victor Frankel écrit : « Entre le stimulus et la réponse, il y a un espace, et dans cet espace se trouve notre pouvoir et notre liberté. » Autoriser, accueillir crée un espace qui nous permet de voir plus profondément notre propre être. Cela, à son tour, éveille notre bienveillance et nous aide à faire des choix plus sages dans la vie. Pour une élève, cette autorisation lui a donné plus de liberté lorsqu’elle était confrontée à des pulsions boulimiques. Avant, à chaque fois qu’elle se sentait agitée ou anxieuse la nuit, elle commençait à penser à sa nourriture préférée – le « mélange montagnard » – puis en consommait sans réfléchir une demi-livre avant de se coucher, dégoûtée d’elle-même. Apprendre à reconnaître les signaux et faire une pause a interrompu le schéma. En faisant une pause, elle se permettait de ressentir la tension dans son corps, son cœur battant, l’envie. Bientôt, elle a commencé à entrer en contact avec un sentiment poignant de solitude enfoui sous son anxiété. Elle a constaté que si elle pouvait rester avec la solitude et être douce avec elle-même, l’envie passait.
I — Investiguer : explorer avec bienveillance et curiosité
Investiguer ou explorer signifie faire appel à notre curiosité naturelle – le désir de connaître la vérité – et diriger une attention avec davantage d’acuité sur notre expérience actuelle. Prendre simplement une pause en se demandant « que se passe-t-il en moi maintenant ? » peut permettre la reconnaissance, mais l’investigation ou l’exploration permet une expérience plus active et plus pointue.
Vous pourriez vous demander : « Qu’est-ce qui est en train de réclamer le plus mon attention ? », « Comment cela se traduit-il en sensations dans mon corps ? », ou « Que suis-je entrain de croire ? », « Qu’est-ce que cette émotion attend de moi ? ». Vous ressentirez peut-être un vide ou une peur, puis découvrirez un sentiment d’indignité et de honte masqué par ces émotions. À moins d’en prendre conscience, vos croyances et émotions inconscientes contrôleront votre expérience et perpétueront votre identification au « petit moi », un sens de soi limité et déficient.
Le poète Dorothy Hunt dit que nous avons besoin d’un « … espace de cœur où tout ce qui est est le bienvenu ». Sans une telle attitude de soin inconditionnel à soi-même, nous ne ressentons pas suffisamment de sécurité et d’ouverture pour qu’une véritable investigation ou exploration ait lieu. Il y a une dizaine d’années, je suis entrée dans une période de maladie chronique. Au cours de cette période particulièrement difficile de douleur et de fatigue, j’ai rencontré le découragement et la dépression. J’étais probablement horrible à côtoyer – impatiente, égocentrique, irritable et sombre. J’ai commencé à pratiquer R.A.I.N. pour reconnaître ces émotions et ces jugements et pour permettre consciemment aux souffrances physiques et émotionnelles d’être là. Alors que je commençais à investiguer et à explorer, j’ai entendu une voix aigrie intérieure : « Je déteste vivre comme ça ». Et puis un instant plus tard : « Je me déteste ! ». La toxicité totale de l’aversion pour moi m’a remplie.
Non seulement je luttais contre la maladie, mais j’étais en plus en guerre contre la personne égocentrique et égoïste que je croyais être devenue. Sans le savoir, je m’étais retournée contre moi-même et j’étais prisonnière de la transe de l’indignité. Mais à partir du moment où j’ai pu reconnaissance, autoriser et accueillir la souffrance issue de ma haine de moi, mon cœur a commencé à s’ouvrir et accéder à la compassion.
Voici une histoire qui illustre le processus que j’ai suivi. Imaginez que vous marchez dans les bois et que vous aperceviez un petit chien assis près d’un arbre. Vous vous penchez pour le caresser et il se précipite soudainement vers vous en montrant les dents. Au début, vous pourriez avoir peur et être en colère. Mais alors, vous remarquez que l’une de ses pattes est prise dans un piège, enfouie sous les feuilles. Immédiatement, vous passez de la colère à l’inquiétude. Vous comprenez que l’agressivité du chien est due à la vulnérabilité et à la douleur.
Cela s’applique à nous tous. Lorsque nous nous comportons de manière réactive et blessante, c’est parce que nous sommes pris dans une sorte de piège douloureux. Plus nous investiguons, plus nous explorons la source de nos souffrances, plus nous cultivons un cœur compatissant envers nous-mêmes et envers les autres.
Quand j’ai reconnu à quel point ma jambe était dans un piège – la maladie aggravée par mon aversion pour moi-même – mon cœur s’est rempli de chagrin et d’un véritable désir de prendre soin de moi. L’investigation et l’exploration s’approfondirent alors que je posais doucement ma main sur mon cœur – un geste de bienveillance – et invitai tous les autres sentiments à faire surface. Une vague de peur (incertitude pour mon avenir) s’est répandue dans ma poitrine, suivie d’une montée de souffrance au sujet de ma santé défaillante. Le sentiment d’auto-compassion s’est déployé pleinement alors que je chuchotais mentalement « Tout va bien, ma chérie » et j’ai consciemment soigné les profondeurs de ma vulnérabilité, tout comme je le ferais avec un ami cher.
La compassion naît naturellement lorsque nous entrons consciemment en contact avec nos souffrances et que nous y répondons en prenant soin de nous. Pendant que vous pratiquez la médiation d’auto-compassion R.A.I.N., expérimentez et voyez quel acte intentionnel de bienveillance vous aide le plus à vous adoucir ou à ouvrir votre cœur. Beaucoup de gens trouvent la guérison en plaçant doucement une main sur le cœur ou la joue, d’autres, dans un message de prudence chuchoté, ou en envisageant d’être baigné d’une lumière chaude et rayonnante. Ce qui importe, c’est qu’une fois que vous avez enquêté sur votre souffrance et que vous l’avez contactée, répondez en offrant des soins à votre cœur. Lorsque l’intention d’éveiller l’amour de soi et la compassion sont sincères, le moindre geste – même si au début il semble gênant – vous sera profitable.
N — Non-identification : Conscience non identifiée à l’expérience
La non-identification nous ouvre à notre « conscience naturelle d’amour » qui se produit lorsqu’on cesse d’être identifié au « petit moi ». Cette pratique de non-identification signifie que le sentiment-de-qui-nous-sommes est détaché et indépendant de toute émotion, sensation ou histoires limitantes. Nous commençons à comprendre et à vivre une ouverture et un amour qui expriment notre conscience naturelle.
Bien que les trois premières étapes de R.A.I.N. nécessitent une activité intentionnelle, le « N » est le trésor : un retour aux sources libératrices de notre nature véritable. Il n’y a rien à faire pour cette dernière partie de R.A.I.N. : nous nous laissons simplement reposer dans la conscience naturelle que nous sommes.
La technique d’auto-compassion R.A.I.N. n’est pas une méditation destinée à être pratiquée une seule fois, de même que la réalisation de notre conscience naturelle n’est généralement pas complète, stable ou même durable instantanément et une fois pour toute. Cependant, lorsque que vous pratiquez, vous pouvez ressentir un sentiment de chaleur et d’ouverture, un changement de perspective. Fiez-vous à cela !
R.A.I.N. est la pratique d’une vie. Elle permet de prendre en compte et de gérer nos doutes et nos peurs avec une véritable action curative. Chaque fois que vous vous offrez de ralentir et de reconnaître « oh, c’est la transe de l’indignité… c’est la peur… c’est une vieille blessure… c’est le jugement… », vous êtes prêt à déconditionner les vieilles habitudes et les croyances limitantes qui emprisonnent votre cœur. Peu à peu, vous découvrirez la conscience naturelle et aimante comme la vérité de qui vous êtes et vous abandonnerez toutes les croyances que vous avez nourries sur le fait d’être défectueux ou de ne pas être à la hauteur.
Une de mes amies était assise avec sa mère mourante alors qu’elle était dans le coma. À un moment donné, la mère a ouvert les yeux, a regardé sa fille avec une grande lucidité et a dit : « Tu sais, toute ma vie, j’ai pensé que quelque chose n’allait pas chez moi ». Elle ferma les yeux, retomba dans le coma et mourut peu de temps après. Pour mon amie, les paroles de sa mère étaient un cadeau de départ. Elles l’ont inspirée à se consacrer à la pleine conscience et à l’auto-compassion qui nous libèrent.
Nous sommes tous conditionnés et vivons pendant de longues périodes de temps emprisonnés dans un sentiment de manque, coupés de la réalisation de notre nature véritable, de notre vitalité et de notre amour. La plus grande bénédiction que nous puissions nous donner est de reconnaître la douleur de cette transe et d’offrir régulièrement la méditation d’auto-compassion R.A.I.N. à nos cœurs qui s’éveillent.